Dans la première partie, nous avons défini l’humilité comme un état d’esprit s’appuyant sur plusieurs compétences et nous avons évoqué les conséquences de sa non pratique, principalement dans le cadre de décisions, de crises.
L’humilité est directement corrélée à une habilité de mise en perspective d’un objet, d’une situation qu’il conviendrait de pouvoir examiner sereinement, sans parasitage, afin de se donner les moyens de pouvoir évaluer le plus objectivement possible une proposition, une problématique et en conséquence les options d’actions qui s’offrent à nous. Cependant, force est de constater que cet exercice au quotidien, dans la vraie vie, est difficile, car sur le chemin de la mise en pratique se dresse un obstacle de taille: le fonctionnement de notre ego.
C’est donc sur cette affaire d’ego que nous revenons dans cette deuxième partie.
Pour commencer définissons l’EGO, pour mieux le comprendre : ego vient du latin et signifie « Moi ». L’ego est vital en tant que représentation que « j »’ai de la personne que « je » suis. Dis plus simplement, c’est l’image que « je » me fais de « moi ». Elle est en étroite relation avec ce qu’on peut appeler la construction identitaire.
L’image que j’ai de « moi » varie au fil de cette construction. Elle est soumise à de fortes pressions, car elle est directement proportionnée à l’idée que « JE » me fais du regard des autres sur « MOI ». Compliqué, car je peux avoir le sentiment que les autres me renvoient une bonne ou mauvaise image de moi, ce qui n’est peut-être pas la réalité. Si les autres ont une mauvaise image de moi, ils ne vont pas m’inclure dans leur groupe… Je vais être rejeté, ignoré ? Ce sentiment génère des insécurités intérieures. Il est important de les compenser, de se rassurer pour continuer à avancer et à se projeter dans un futur au sein d’une société.
L’ego, en tant que principe vital, nous met en action. Comme il est conditionné au regard des autres, nous voulons bien faire. Nous voulons proactivement faire partie de ce collectif agissant qui avance.
Le danger de l’ego est dans les déviations liées à sa stratégie de construction : la comparaison qui est un processus d’évaluation et le projet que nous allons lui donner. Donc, l’ego scanne son horizon constamment pour évaluer et se situer.
Est-ce que je fais mieux ? Est-ce que je fais moins bien ? Cette série de questions est naturelle et débouche sur une analyse rationnelle. « Ah oui, je fais moins bien parce que je ne suis pas assez formé(e)… parce que je n’ai pas encore réuni toutes les bonnes informations ». « Tiens qui fait mieux ? » « Comment s’y prennent ‘ils » ? C’est ainsi que peut s’enclencher un processus d’apprenance qui vise une amélioration.
Le niveau « déviant » fait intervenir une autre série de questions : est-ce que JE SUIS mieux ou est-ce que JE SUIS moins bien. C’est un chemin dangereux qu’emprunte alors l’EGO qui témoigne d’insécurités intérieures peu supportables pour l’individu. La construction identitaire risque alors la collapse, l’image se trouble … Les insécurités vont exiger des réponses capables de le rassurer. Il est alors vital et prioritaire pour la personne d’avoir recours à des stratégies comportementales principalement axées sur le maintien d’une image d’elle même positive ; par exemple: engager des défis contre d’autres personnes et se concentrer sur le fait de les gagner ou montrer son pouvoir et l’exercer sur des plus faibles ou sur ceux qui n’en ont pas, ou bien encore acquérir des objets très chers, faire partie de réseaux exclusifs fermés, ou alors, ramener l’attention à soi, montrer que l’on a réponse à tout, que l’on sait tout, ou se faire désirer, se faire rare afin de laisser penser qu’on est très réclamé(e)… La liste est infinie de toutes idées créatives qu’une personne est capable de déployer pour conjurer le danger d’une image qui se dévalorise. Nous sommes tous et à tout instant guettés par ce mécanisme sournois.
Toutes ces stratégies sont centrées sur la personne elle-même et il est important de comprendre qu’elles excluent toutes autres stratégies collectives comme celle de la coopération, indispensable à toute belle organisation humaine.
Yuval Noah Harari, auteur de « Homo Sapiens » s’est principalement intéressé à comprendre les clés qui ont permis à « Sapiens » d’arriver à des formes complexes et évoluées d’organisations capables de faire fonctionner plusieurs milliers de personnes qui ne se connaissent pas. Son analyse et sa proposition sont les suivantes : plus les individus composant une société, une organisation sont capables de coopérer autour d’un récit fictionnel inspirant, plus l’organisation se développe avec succès et avec efficacité. La non coopération empêche toute évolution, tout progrès, toute réussite et entame inéluctablement un processus de destruction, d’annihilation, de disparition.
On comprend mieux alors pourquoi toute personne en charge d’encadrer un groupe, de prendre des décisions qui auront un impact sur un collectif petit ou grand, ont pratiquement un devoir de prendre conscience de leur capacité à utiliser leur ego comme d’une force proactive et non comme d’un instrument de pouvoir axé sur un objectif de réassurance.
Voilà les enjeux forts qui se présentent sous une apparence, au combien banale, d’une capacité que vont avoir les personnes à adopter cet état d’esprit d’ humilité et voilà l’obstacle redoutable qui se dresse sur sa route.
Dans la troisième partie nous évoquerons une compétence naturelle que nous pouvons activer facilement et qui permet de déployer l’humilité à bon escient, de s’en servir comme d’une compétence créative, au service du collectif, du bien commun et de la coopération : il s’agit de l’apprenance.