Nous évoquons encore le thème de l’Humilité. Les mécanismes sous-jacents à l’oeuvre dans le manque d’humilité s’appuient sur des peurs naturelles: peur de perdre une certaine image de soi, peur de perdre le regard attentif de l’autre, peur de perdre son statut, son pouvoir, peur, finalement d’être renvoyé au néant et nous avons compris que c’est pour ces justes et bonnes raisons que l’ego se défend et déploie des stratégies créatives afin de préserver l’identité de son « hôte ».
La position de « sachant » est une des armures de protection de l’EGO. Je sais, donc je suis. Plus je sais, plus je suis incontournable et plus j’exerce un pouvoir dont vous ne pouvez vous passer. Ce sont mes règles et mon savoir me donne l’autorité sur vous. En commençant ce nouvel article, je m’aperçois qu’avant d’évoquer le sujet de l’apprenance il est important de le recontextualiser et de revenir sur notre culture de l’apprentissage et principalement celle de nos élites.
Le « sachant », depuis des siècles, tient le haut du pavé; il s’est forgé un monde, il a forgé le monde, il a créé une histoire collective dont il est le héros dans lequel il bénéficie de nombreux avantages.
Cette histoire commence sur un chemin vertueux, qui propose le progrès, le mieux pour tous, le développement et c’est cette idée qui amène une jeune personne à s’investir dans la connaissance.
Au départ, il y a cet état d’excitation et d’émerveillement immense face aux découvertes, aux apprentissages qui le nourrissent et le projet, souvent courant, de les mettre au service du plus grand nombre.
Ensuite, c’est l’endurance, le marathon, l’abnégation. La jeune personne paye aussi son dû, son écot, car l’acquisition de ce savoir va exiger un investissement colossal en dépense d’énergie, des années d’apprentissages, puis des concours ou des examens difficiles, des renoncements, parfois des sacrifices et toujours une forte discipline. Notre apprenti a donc escaladé l’Everest, il a réussi et il a mérité la place qu’il s’est créée « à la force du poignet ».
Puis, vient le temps de la mise en oeuvre et c’est à ce moment qu’il commence à bâtir son récit, sa légende personnelle et les retours sont très positifs. Il escalade maintenant la montagne de sa carrière. Sauf que plus il monte, plus il se ramollit, il s’installe dans le confort, dans la routine intellectuelle, il poursuit des objectifs différents, individualistes, il s’isole dans une bulle égotique, il arrive ou il est au sommet et plus rien ne peut l’arrêter…
Sauf.. une crise, un événement soudain, qui va pulvériser sa bulle de confort et de certitudes.
Dans le monde d’hier, le temps était ralenti. « sachant » d’un jour, « sachant » toujours.. Le monde était en quelque sorte, divisé en trois catégories: ceux qui détenaient un savoir stratégique, ceux qui avaient appris quelque chose et ceux qui ne savaient pas grand chose.
Les « sachants détenaient des positions de premier plan et dirigeaient notre société car, dans chaque discipline, ils formaient un grande famille. La majorité de la population n’avait pas les moyens, les informations la connaissance pour contester aucune des décisions prises par leurs élites qui savaient. La casse pouvait être importante mais les « sachants » avaient toujours une histoire à raconter qui leur permettait de faire avaler la pilule « aux braves gens ». L’invention d’un récit collectif qui arrangeait tout et pire qui serait défendu par ceux-mêmes qui en subissaient les conséquences.
Dans le monde d’aujourd’hui, complexe, avec des data qui tournent autour de la planète à la quasi vitesse de la lumière, chacun est informé en temps réel et a accès à la connaissance. Il a fallu 1 mois aux populations pour tout savoir sur un virus et la façon de le combattre.
Alors de quoi s’aperçoit notre « sachant égotique », une fois sorti de sa bulle dorée ?
Que le monde a bougé, changé, évolué, très très vite, qu’il grouille d’inventions, de nouveaux savoirs. Il découvre aussi, alors qu’il était aux manettes, que le monde est peut-être en grand danger écologique, sanitaire, démocratique..
Il s’aperçoit que les innovations peuvent venir de pays auxquels il n’aurait pas pensé. Il prend conscience qu’il obéit toujours à des modèles d’organisation qui datent d’il y a plus de 20 ans.
Il s’aperçoit surtout, avec un certain effroi, que ceux qui l’écoutaient hier avec révérence ou admiration, pensent qu’ils en savent presque tout autant que lui, pire, le remettent en question.
On lui parle d’intelligence collective, d’intelligence artificielle, nouveaux modèles de mise en oeuvre de la connaissance et des savoirs, potentielles menaces pour lui.. Mais c’est quoi ce monde !
Maintenant, nous comprenons mieux pourquoi l’humilité est en fait et un état d’esprit et une attitude, qui n’est pas naturelle dans le sens où elle ne correspond pas à nos cultures, nos histoires, nos usages.. L’humilité, toujours associée à un imaginaire religieux, est considéré comme une faiblesse peu adaptée au monde moderne professionnel, aux leaders, aux dirigeants, aux gagnants.
Cela fait déjà une dizaine d’années que le basculement a commencé à se faire sentir. Nous avons déjà traversé de nombreuses crises dont les intervalles se rapprochent et nos leaders, nos dirigeants, nos sachants, ne trouvent plus les réponses, les solutions. En fait ils sont perdus.
Cela fait maintenant quelques années aussi que des initiatives d’intelligence collective sont à l’oeuvre et les clarifications quant à son utilisation sont toujours à l’état d’expérimentation.
Parallèlement, on s’aperçoit que de plus en plus de personnes acceptent l’idée d’une introspection, d’une meilleure connaissance de soi, d’un développement personnel, mais c’est encore un phénomène qui est regardé avec méfiance.
Pourtant, chacun se rend compte qu’il est urgent de mettre en oeuvre d’autres façon d’avancer, de coopérer, de s’organiser.
Comme disait Minztberg, le mythe du « Chevalier blanc », qui gravite en orbite au dessus de son organisation et descend pour apporter la solution, est en train de s’écrouler. Cependant, on efface pas notre histoire collective d’un coup de gomme et les représentations d’un monde où certaines personnes peuvent apporter les bonnes réponses sont solidement ancrées dans nos mémoires, dans notre inconscient collectif, dans nos habitudes de vies, dans nos réflexes.
Que ce soit du coté des « sachants » ou du coté des populations qui attendent les solutions de la part des « sachants », si nous voulons inventer de nouveaux projets de société, des organisations performantes à la hauteur des défis, de nouvelles façons de coopérer, il nous faudra changer de logiciels. Pour les « sachants », il s’agit d’apprendre à fréquenter, en premier lieu, l’humilité pour reconnaître qu’ils n’ont plus les réponses. Pour tous les autres, il s’agit d’apprendre la responsabilité, l’autonomie, la confiance en l’intelligence collective et en leur intelligence individuelle.
Les résistances sont pourtant à l’oeuvre des deux cotés et nous pouvons constater que les étapes intermédiaires proposées par des leaders « Beaux parleurs et simplificateurs » sont encore plus inquiétantes pour tous ceux qui se raccrochent encore aux branches d’un monde révolu,..
Alors à quoi ressembleront ces nouveaux dirigeants-leaders? Etre dirigeant et leader n’est pas une mince affaire car jusqu’à maintenant on pouvait être dirigeant sans être un leader et on pouvait être un leader sans avoir à diriger.
Entre autres qualités, Ils auront développé une attitude, une compétence, somme toute assez basique et naturelle: l’apprenance.